“Dans les forêts de Sibérie”, au théâtre de la Huchette

©photo LOT

Une cabane en planches, un poêle qui rougeoie doucement au milieu de la pièce, des rayonnages de livres et des bouteilles de vodka… voici l’ermitage en Sibérie, près du lac Baïkal, où l’écrivain voyageur Sylvain Tesson a choisi de se retirer pour six mois, loin de la folie urbaine et de la foule, dans le froid glacial de la taïga. Une retraite volontaire, dans laquelle l’écrivain cherche à se ressourcer auprès de la nature.

Un froid sibérien qui réchauffe le cœur
La nature, omniprésente, mais que l’on ne voit jamais, rythme la vie de cet « ermite » (comme Tesson aime à se désigner). Les jeux de lumière permettent de créer des atmosphères différentes dans la cabane en fonction des moments de la journée : le rayon de soleil qui vient balayer l’intérieur, l’obscurité qui s’installe quand la nuit tombe, les éclairs de tempête qui cernent parfois le refuge de l’écrivain.

Des bruitages évoquent la violence des éléments naturels au dehors, le vent, le froid, la neige, accentuant encore l’impression d’isolement. Cet isolement que l’écrivain recherche ardemment pour plonger au plus profond de lui-même, comme pour se ressourcer dans le silence et les mots, qu’il lit ou qu’il écrit. Ses occupations sont d’une grande simplicité : contempler le paysage de sa fenêtre, consigner ses impressions dans un journal, fendre le bois, pêcher, marcher dans la forêt. Son émerveillement lors de la visite d’une mésange dans son refuge en dit long sur ce qu’il ressent.

Un homme en quête d’absolu
William Mesguich est troublant de vérité dans le rôle de Sylvain Tesson. Tour à tour drôle, sombre ou touchant, il nous fait entrer dans les pensées de l’aventurier et partager la sensation de dépouillement, de vide total qui lui permet de se fondre dans la nature et de percevoir le fourmillement du monde animal et végétal qui l’entoure. Les fidèles compagnons que sont les livres et la vodka (qu’il consomme sans modération) l’aident à aiguiser ses perceptions.

Dans ce seul en scène, la magie de la mise en scène et l’interprétation de William Mesguich nous entraînent au fin fond de la Sibérie, aux côtés de l’écrivain voyageur, dans sa quête de beauté et d’absolu. Nous ressentons le froid qui le mord, le vent qui le fouette, nous sommes fascinés comme lui par l’éclat sombre des eaux de la Baïkal et effrayés par la nuit qui s’abat sur la taïga. Nous sommes touchés en plein cœur par la lettre de rupture qu’il reçoit dans son ermitage et qui l’éprouve une fois de plus.

Une expérience extrême, mais surtout une belle aventure humaine, qui pose des questions fondamentales : comment apprivoiser le temps ? Comment se confronter à soi-même ? Peut-on vivre loin de ses semblables ?

Un beau spectacle, à la fois intime et universel, porté par un acteur intense.

Véronique Tran Vinh

Des mots pour vous dire

D’après le livre de Sylvain Tesson
Mise en scène et jeu William Mesguich
Collaboration artistique Estelle Andrea
Adaptation Charlotte Escamez
Création sonore Maxime Richelme
Création lumière Richard Arselin
Scénographie Grégoire Lemoine
Régie Yves Thuillier

Théâtre de la Huchette
23, rue de la Huchette
75005 Paris
http://www.theatre-huchette.com/dans-les-forets-de-siberie/
Du mardi au vendredi à 21 h 00, le samedi à 16 h et 21 h.
Relâches :  le mardi 19 novembre, le jeudi 21 novembre 2019, mardi 24 décembre et le mercredi 1er janvier.

 

“Le Corps des songes”, au théâtre de la Cité universitaire

Nosfell_Le Corps des Songes ©MANU WINO_HD.04

©Manu Wino

À mi-chemin entre concert et ballet fantastique, cette « fantaisie lyrique » a été créée par Nosfell, chanteur, danseur et chorégraphe (découvert par Philippe Decouflé), à partir de ses souvenirs d’enfance, réapparus dans ses songes. Des songes qui ressemblent plus à des cauchemars qu’à de douces rêveries.

Sur scène, des rochers verdâtres et du sable, vert lui aussi, composent une mystérieuse cartographie. Celle d’un monde fantasmagorique, tout droit sorti de l’esprit de Nosfell : le Klokochazia, composé d’un ensemble d’îles. Inévitablement, on pense à l’univers fantastique de Tolkien. Ce monde possède son langage qui lui est propre, le klokobetz. Cette langue imaginaire est celle que son père lui a transmise, formée à partir de toutes les langues qu’il parlait. Nosfell chante dans cette langue que l’on ne comprend pas (l’inverse de l’esperanto en quelque sorte) aux sonorités gutturales et en français.

Au fur et à mesure du spectacle, le chanteur-danseur revêt des morceaux de costume d’une chimère, comme dans un rituel chamanique (destiné à le libérer de ses traumas ?). Ses chants ressemblent parfois à des incantations, allant des sonorités les plus graves au plus aiguës. La mise en scène, quasi hypnotique, nous plonge dans un univers sombre (voire glauque), aussi sombre que l’histoire de Nosfell : un père obsessionnel qui le réveille la nuit pour lui faire raconter ses rêves, le harcèlement par un camarade d’école, le viol par des inconnus.

Un univers très conceptuel et qui finit par tourner en vase clos, obsessionnel et torturé, aux lisières de la folie. On ne voit aucune échappatoire, rien qui permette de donner sens à ce chaos. Malgré le talent et la créativité indéniables de Nosfell, qui joue de ses cordes vocales comme de son corps serpentin et tatoué, j’ai eu du mal à maintenir mon intérêt jusqu’à la fin.

Pour réussir à me captiver, il aurait sans doute fallu que la mise en scène adopte une forme plus courte, plus nerveuse. Ce n’est apparemment pas l’avis de tout le monde si l’on en croit les applaudissements enthousiastes à la fin du spectacle.

Nosfell a ses fans, même si je n’en fais pas partie.

Véronique Tran Vinh

Des mots pour vous dire

Conception, écriture, performance, composition musicale Nosfell
« Süanij (dans la forêt du songe) » composé et orchestré par Nosfell et Frédéric Gastard
« Ici le sable » écrit et composé par Donia Berriri
Concept et réalisation scénographie Nadia Lauro
Co-auteur des textes des chansons Dominique A et Xavier Machault
Regard chorégraphique François Chaignaud
Dramaturgie Tünde Deak
Regard extérieur – assistanat Clémence Galliard et Anne Lenglet
Création son Nicolas Delbart
Lumière Yannick Fouassier
Conception costumes Éric Martin
Réalisation costumes Marion Egner
Développement typographique Jérémy Barrault
Régie générale et régie lumière Chloé Bouju
Régie son Maxime Drouot

9 janvier 2020 : ICI – Centre chorégraphique national Montpellier-Occitanie
24 et 25 janvier 2020 : Le CentQuatre, Paris – Dans le cadre du festival Les Singuliers
6 mars 2020 : Théâtre Paul Éluard Bezons – Scène conventionnée
24 mars 2020 : Le Phénix – Scène nationale de Valenciennes
Coréalisation du Gymnase I CD CN – Dans le cadre du festival Le Grand Bain
28 mars 2020 : L’Avant-Scène Cognac – Scène conventionnée
4 avril 2020 : Opéra de Rennes – Dans le cadre du festival Mythos
9 avril 2020 : MA scène nationale – Pays de Montbéliard
29 avril 2020 : Le Manège – Scène nationale de Reims

“Toute l’histoire de la peinture en moins de deux heures”, au théâtre de l’Atelier

2019 1023 — Th de Liège Shooting Goldo —— 6977© Goldo

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la peinture (sans jamais oser le demander), tel aurait pu être l’autre titre de ce spectacle à la fois drôle et instructif qui s’adresse à tout public. Qui pourrait en effet avoir la prétention de « résumer » l’histoire de l’art pictural à travers les siècles, de Giotto à Klein ?

Personne, bien entendu, et Hector Obalk, critique et historien d’art passionné, est bien conscient de ne pouvoir faire œuvre d’exhaustivité. À défaut, il a choisi de brosser à grands traits l’évolution de la peinture en passant en revue ses principaux mouvements : la pré-Renaissance, la Renaissance, le maniérisme, le romantisme, le réalisme, l’impressionnisme (qu’il ne fera qu’effleurer car trop connu), l’art moderne. Quelques zooms sur les représentants d’un mouvement (Pontormo et Arcimboldo, pour le maniérisme par exemple, Caravage pour le réalisme, etc.) ou une œuvre qu’il affectionne particulièrement illustrent son propos.

Le risque ? Devenir vite pontifiant, voire ennuyeux. Obalk relève brillamment le défi en appuyant son exposé, très pédagogique, sur un mur d’images de très haute définition (pas moins de 3 400 tableaux) et en émaillant son discours de traits d’humour – parfois acerbe –, ou d’anecdotes fort à propos. De quoi faire rire les enfants comme les parents. Le tout ponctué par des morceaux de violon et de violoncelle qui collent parfaitement aux œuvres et nous transportent dans un univers plus contemplatif.

L’historien se plaît à égratigner au passage « l’art immersif » (qui oublie, selon lui, l’essentiel de la peinture, à savoir le « rectangle » ou le cadre), un certain Lucchini (à qui d’aucuns l’auraient comparé, il ne voit pas pourquoi et moi non plus…), ainsi que l’un de ses anciens producteurs chez Arte qui voulait à tout prix qu’il introduise le numérique dans ses émissions (nul doute qu’il se reconnaîtra). Il en profite aussi pour nous rappeler les notions fondamentales de la peinture : la perspective, l’anatomie et la texture.

Que l’on soit simple néophyte ou amateur éclairé, grâce à lui, nous (ré)apprenons à regarder un tableau sans idées préconçues, à conjuguer analyse et intuition pour développer notre sens critique et notre propre jugement. À ouvrir les yeux sur la beauté du monde à travers l’art, tout simplement.

Rien que pour cela, merci de nous avoir fait partager votre passion, M. Obalk !

Véronique Tran Vinh

Auteur et metteur en scène Hector Obalk
Avec Raphaël Perraud au violoncelle, en alternance avec Florent Carrière
Avec Pablo Schatzman au violon, en alternance avec You-Jung Han 

Théâtre de l’Atelier
1, place Charles-Dullin
75018 Paris
http://www.theatre-atelier.com/

À partir de décembre, nouveau parcours :
FRA ANGELICO Le Couronnement de la Vierge (retable du Louvre)
BELLINI La Madone des prés
MICHEL-ANGE Le Serpent d’airin (chapelle Sixtine)
LE CORRÈGE Léda et le cygne
PONTORMO L’Annonciation
PARMESAN Autoportrait dans un miroir convexe
TINTORET L’Enlèvement d’Hélène
HOLBEIN Le Christ mort
RIBERA Apollon et Marsyas
REMBRANDT Femme se baignant dans une rivière
WATTEAU Voulez-vous triompher des belles
CHARDIN Le Gobelet d’argent
MONET Lilas au soleil
AILLAUD Introduction à son œuvre
le tout dans une perspective de 6 siècles de peinture. 

 

“Teh Dar”, à l’espace chapiteaux de La Villette

 

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DR

Dès les premiers coups de gong, le ton est donné. Le Nouveau Cirque du Vietnam nous plonge dans le quotidien des K’ho, une tribu minoritaire du centre qui vit sur les hauts plateaux. De jeunes gens aux corps déliés et musclés, comme sculptés par les acrobaties, vont dérouler devant nous scènes villageoises, travaux aux champs et fêtes rituelles qui rythment leur vie. Une vie essentiellement communautaire qui transparaît à travers le spectacle.

Comme dans le précédent opus de Tuan Le, qui jouait sur les oppositions ville-campagne, tradition-modernité (voir ma chronique ici), j’ai été frappée une fois de plus par la grande cohésion de la troupe et son incroyable énergie. La mise en scène, composée d’une série de tableaux d’une esthétique envoûtante, met en avant les nombreux talents de ces jeunes artistes (acrobaties, jonglerie, danse, chant). Le tout porté par une musique qui mêle habilement instruments traditionnels (tambours, gongs) et sonorités plus contemporaines.

On retrouve le bambou – leur matériau fétiche – qui prend une fois de plus des formes multiples et, notamment, les lances qu’ils manient avec une grande dextérité et une parfaite synchronisation. La mise en scène joue sur les changements de rythme : moments d’une suave poésie comme la danse des amoureux au milieu des paniers de bambou (des rochers sur un lac ?), danses tribales très rythmées, proches de la transe, ou rituels mystérieux où les masques ont une fonction à la fois symbolique et ludique. Citons aussi la performance incroyable d’une contorsionniste qui joue les femmes araignées.

Cette plongée au cœur de la culture des K’ho est une réussite totale. La jeune troupe, fière de ses traditions, nous fait partager ses valeurs ancestrales (sens du collectif, gaieté, authenticité) tout en nous fascinant avec ses performances physiques et sa fraîcheur.

Le public, enthousiasmé, ne s’y est pas trompé et s’est levé pour applaudir à tout rompre la troupe de jeunes circassiens.

 Véronique Tran Vinh

Mise en scène : Tuan Le
Direction musicale : Nguyen Nhat Ly
Direction artistique : Nguyen Lan Maurice
Chorégraphie : Ngo Thanh Phuong

« Teh Dar », Le Nouveau Cirque du Vietnam
Jusqu’au 1er décembre 2019
Du mercredi au vendredi à 20 h, samedi 
La Villette – Espace chapiteaux
211, avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
https://lavillette.com/

 

 

“Ma langue maternelle va mourir”, au Théâtre des Bouffes du Nord

 

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© Eddy Rivière

À peine entré (ou plutôt jailli tel un diablotin !) sur scène, Yannick Jaulin nous présente son spectacle en anglais, en patois, et enfin, en français. Trois langues, trois sensibilités pour dire le monde d’aujourd’hui.

Avec beaucoup d’humour, de sensibilité et d’autodérision, ce saltimbanque des mots va nous causer de ce qui lui tient à cœur : la disparition programmée de la ruralité et des identités locales et, par contrecoup, des dialectes au profit d’une « langue unique », le français. Le français menacé lui-même de devenir une langue locale perdue dans une métalangue que serait le « globish » (« global english »).

Discours politique ? Certes, pour Jaulin, la langue unique est un outil de domination culturelle et sociale puisqu’elle exclut par définition toutes les autres langues. Mais c’est surtout une déclaration d’amour à la langue, la sienne en particulier – le « parlange », ce patois de Vendée dont il est originaire – et à toutes les langues. Une déclaration qui laisse la porte ouverte à la richesse apportée par d’autres cultures.

L’homme a l’art de nous faire rire avec ce sujet primordial. Il faut tout son talent de conteur pour souligner l’importance sociale du langage sans tomber dans la démonstration. Le langage qui exclut la personne qui ne le maîtrise pas (le récit du tribunal, le « plouc »), mais aussi celui qui peut rassembler une communauté, exprimer une culture locale, ancrer dans la réalité, à l’opposé de celui, froid et technocratique, des politiques. Sans oublier le langage maternel, terreau dans lequel se nourrissent nos affects les plus élémentaires, notamment ceux qui nous viennent de l’enfance.

On rit aux éclats lorsqu’il montre au gouvernement le pas de danse qui va lui permettre de retrouver le contact avec la terre. La terre, son terroir natal auquel il porte un amour quasi charnel, mais aussi notre terre à nous, les hommes.

Renforçant son propos, la musique et les chants d’Alain Larribet, venus du Béarn, mais influencés par de lointains ailleurs, nous bercent de leurs sons envoûtants parce qu’intemporels, profonds, comme surgis des profondeurs de terres multiples. Entre le conteur et le musicien, la complicité est palpable.

Du rire, de l’émotion, il y en a beaucoup dans ce spectacle. Matière à réflexion aussi. Sur la langue bien sûr, en tant qu’outil d’identité, rempart ultime contre la standardisation des cultures, mais aussi en tant que lien entre les hommes, maintien indispensable de la collectivité.

Un spectacle beau et chatoyant comme les mots de Yannick Jaulin, que vous croiserez peut-être sur les routes de province où il continue à faire partager ses histoires universelles.

Véronique Tran Vinh

De et par Yannick Jaulin
Collaboration à l’écriture Morgane Houdemont et Gérard Baraton
Accompagnement musical et composition Alain Larribet 
Regards extérieurs Gérard Baraton, Titus
Création lumière Fabrice Vétault
Création son Olivier Pouquet

Théâtre des Bouffes du Nord
37, boulevard de la Chapelle
75010 Paris
http://www.bouffesdunord.com/

En alternance avec Causer d’amour, notre chronique ici :
https://bit.ly/2JupN11
Dates de tournée :
http://yannickjaulin.com/la-tournee

“Ah ! Félix (n’est pas le bon titre), aux Trois Baudets

 

© Simon Gosselin (affiche) – Édouard Richard (La pampa)

Sur la scène trône dans un coin de la scène une étrange composition surmontée par un crâne. Une voix surgie du ciel commence à nous raconter la légende du moine Félix, parti à la recherche de la tête de saint Jean-Baptiste. Non, ce n’est pas la voix de Dieu mais celle de Philippe Katerine ! On comprend alors qu’on ne va pas s’ennuyer. Quand deux jeunes bardes surgissent sur scène avec leurs guitares (électroacoutisque pour l’une, électrique pour l’autre), notre première impression se confirme. Malgré le lieu, ce n’est pas un spectacle classique auquel nous allons assister, ni religieux, ni même historique.

Sous couvert de légende, l’auteure et metteuse en scène Sonia Bester nous livre une farce musicale réjouissante, aux dialogues absurdes, mais parfaitement ciselés. Son propos s’appuie cependant sur des archives historiques. La musique tient un rôle à part entière dans la pièce, revisitant en fonction des péripéties des morceaux de musique sacrée et baroque aussi bien que de variété ou de pop. On a même droit à des œuvres (l’opéra Salomé, et le fameux Also sprach Zarathoustra de Richard Strauss en version électrique !) Les comédiens et chanteurs s’en donnent à cœur joie et interprètent une galerie de personnages tous plus déjantés les uns que les autres.

Un joyeux délire à travers les genres et les époques

 Dans le rôle d’Adémar, Jean-Luc Vincent est hilarant en gourou aux diatribes politico-philosophiques, habillé d’un costume digne d’un chanteur de variété des années soixante-dix. Il est tout aussi savoureux en tête de Turc de la très directive Mme Chavigné. Avec son air faussement rêveur, JP Nataf (du groupe Les Innocents) apporte sa touche décalée au moine Félix et communique son énergie rock à travers les morceaux et les chorégraphies qu’il interprète. Quant à Diane Bonnot, alias Mme Chavigné, elle se révèle excellente en prof hystérique de catéchisme, qui prend très à cœur son rôle de metteuse en scène pour le spectacle de fin d’année commandé par le Département. Son jeu survolté m’a fait penser aux meilleurs numéros de Valérie Lemercier. Cerise sur le gâteau : la participation des Voisins du Dessus, la célèbre chorale qui fait chanter le public lors de ses spectacles.

En compagnie de cette bande de joyeux loufoques (et artistes talentueux !), on saute sans crier gare d’une époque à une autre, d’un personnage à un autre, le seul lien étant la fameuse tête de saint Jean-Baptiste et le texte d’Oscar Wilde sur le mythe de Salomé (qui, in fine, est la responsable des tribulations de cette tête…. ). Les numéros musicaux et chantés s’enchaînent, jonglant entre les styles avec aisance.

L’hilarité que le spectacle déclenche devrait être prescrite par la sécurité sociale. Courez vite le voir, car il ne reste plus que quelques dates à Paris. Souhaitons que ce spectacle jubilatoire trouve d’autres salles à la mesure de sa démesure !

Véronique Tran Vinh

Mise en scène : Sonia Bester et Isabelle Antoine
Avec
Stéphanie Acquette, Diane Bonnot, Vincent Mougel, JP Nataf et Jean-Luc Vincent
Texte : Sonia Bester en collaboration avec Jean-Luc Vincent
Arrangements et compositions :  Simon Dalmais, Vincent Mougel et JP Nataf
Voix off : Philippe Katerine
Coordination musicale : Simon Dalmais
Scénographie : François Gauthier Lafaye
Costumes : Elisabeth Cerqueira
Lumière : Gaël Honnoré
Son : Audrey Schiavi
Avec la participation des Voisins du Dessus

Prochaines représentations :
Paris : Les Trois Baudets
Lundi 16 décembre – 20h30 Dernières places
Mercredi 22 janvier 2020 – 20h30
Mardi 18 février 2020 – 20h30
Réservez ici :
https://www.lestroisbaudets.com/spectacle/loc-ah-felix-2-tbc-1/

Aleçon – Scène nationale 61 : 3 et 4 décembre
Flers – Scène nationale 61 : 5 décembre

 

 

“Le Gorille”, au théâtre du Lucernaire

©Adrien Lecouturier

Dans sa brève nouvelle, intitulée Rapport pour une académie, Kafka nous fait toucher du doigt ce qu’il y a d’inhumain dans la condition humaine, à travers le parcours édifiant d’un singe qui va devenir un homme (sujet inversé de sa célèbre Métamorphose). Dans cette fable, on assiste ainsi à la tentative désespérée d’un animal pour s’intégrer, pour devenir conforme afin de ne pas vivre enfermé toute sa vie dans une cage.

D’abord exhibé comme une curiosité dans les foires du monde entier (comme le furent la Vénus hottentote ou encore Joseph Merrick, alias Elephant Man, au XIXsiècle), il réussit la performance d’apprendre à parler et fait fortune dans le monde des affaires avant d’être invité à faire un discours sur son expérience devant l’Académie. Parmi les membres de cette honorable société de savants (dont les portraits trônent sur la scène), on reconnaît l’illustre Darwin.

Une incroyable métamorphose

 On ne peut qu’applaudir la performance du fils Jodorowsky, qui mime avec tout son corps l’animal qui peu à peu se transforme en un être dit civilisé. Son jeu est saisissant de réalisme. Ses mimiques, sa manière de se tenir traduisent ses efforts dantesques pour ressembler à un homme tout en gardant malgré lui (regardez comme il recroqueville ses doigts) quelques traces indélébiles de sa nature simiesque.

Malgré la satisfaction apparente de son personnage d’avoir réussi ce challenge, on le sent trop à l’étroit dans sa peau d’humain, engoncé dans son costume. Pari réussi, certes, mais à quel prix ? Au prix du renoncement à son identité profonde, à sa part instinctuelle qui le pousse à émettre des grognements, à sauter en l’air et à se suspendre dans les arbres.

De la société des hommes, il a adopté non seulement les mœurs, mais aussi les vices (l’alcool et le goût du pouvoir entre autres). Il a surtout renoncé à tout ce qui faisait sa différence et, en fin de compte… sa richesse.

Une fable grinçante sur la normalisation sociale, le renoncement au souci de soi, au détriment de ce qu’il peut y avoir d’irréductible dans la nature propre de chaque être vivant.

Véronique Tran Vinh

 D’après Franz Kafka

Texte et mise en scène : Alejandro Jodorowsky
Avec Brontis Jodorowsky

JUSQU’AU 3 NOVEMBRE 2019
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 18 h
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Tél. : 01 45 44 57 34
http://www.lucernaire.fr

 

“Macbeth (The Notes)”, au théâtre du Lucernaire

 

© Patrick Berger

Comment recréer un monde à travers une œuvre mille fois jouée et y apporter sa vision personnelle ? Comment insuffler l’esprit de cette création à ses acteurs afin que ceux-ci lui donnent vie ? Comment mettre en place les éléments indispensables à la réalisation d’un chef-d’œuvre ? Toutes ces questions s’agitent dans la tête du metteur en scène de théâtre, en pleine ébullition avant la première représentation publique de son Macbeth.

Mélangeant habilement improvisation et textes, ce spectacle insolite nous montre la vie créatrice à l’œuvre. C’est donc sur une scène vide que le démiurge convoque toute son équipe, acteurs et techniciens, pour leur commenter ses notes. Une scène qu’il va peu à peu investir par la magie de sa mise en scène. Nous découvrons l’étendue du travail d’un créateur, amené aussi bien à organiser un espace dans les moindres détails qu’à diriger le plus précisément possible sa troupe.

 Une performance d’acteur

David Ayala occupe avec maestria la scène, nous faisant entrer dans la tête d’un artiste avant-gardiste, pris dans les affres de la création. Tour à tour inspiré, fiévreux, angoissé, trivial, ridicule, vulnérable, manipulateur, génial… il nous emporte dans le tourbillon de sa proposition théâtrale. Les indications qu’il donne sont tout aussi incongrues que drôles (Bip Bip et Coyote par exemple). Main de fer dans un gant de velours, il interpelle les membres de son équipe, passant sans crier gare du rôle du metteur en scène à celui d’un des personnages de Macbeth. Qu’il joue Lady Macbeth ou Macbeth lui-même, son jeu est à la fois intense et fascinant.

La démesure de son personnage – que le comédien investit totalement –, semble faire écho à la démesure de la pièce elle-même, où les personnages sont habités par des passions exacerbées (pouvoir, trahison, amour, cupidité). Peut-être du fait de sa stature imposante, je n’ai pu m’empêcher de penser à Orson Welles, monstre sacré du cinéma et du théâtre, et à Falstaff (autre personnage de Shakespeare, qu’il a mis en scène et joué).

Courez voir cette pièce qui nous fait partager la création dramatique dans toute son intensité. Incontournable pour celles et ceux qui s’intéressent à la conception artistique, notamment théâtrale.

Véronique Tran Vinh

D’après William Shakespeare
Écriture et adaptation : Dan Jemmett et David Ayala
Mise en scène et avec : Dan Jemmett
Avec David Ayala

JUSQU’AU 13 OCTOBRE 2019
Du mardi au samedi à 19 h, dimanche à 16 h
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Tél. : 01 45 44 57 34
http://www.lucernaire.fr

“Circus Incognitus”, au théâtre de l’Atelier

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@ Patrick Berger-Artcomart (fil) – @Amanda Russell

Quel bon moment nous avons passé hier soir en compagnie de Jamie Adkins ! Quand je dis “nous”, je pense non seulement à mon amie et à moi, mais aussi à tous les autres, adultes venus entre amis ou en famille. Quel plaisir d’assister à un spectacle d’un tel niveau burlesque, d’une telle fraîcheur, qui déclenche des hoquets, des salves, que dis-je, des cascades de rires… notamment de la part des plus petits, toujours plus spontanés. Quant à ma voisine de derrière, j’ai bien failli appeler les pompiers tant elle a manqué plusieurs fois de s’étrangler de rire.

Avec sa bouille sympathique et son regard espiègle, Jamie Adkins réussit la prouesse de transformer des petits riens en tours de génie : une lampe qu’il braque à tour de rôle sur le public et sur lui, déformant son visage ; des balles de ping-pong qu’il fait semblant d’avaler et qu’il recrache en jonglant avec la bouche (une performance !) ; des sauts, faussement ratés, d’une chaise à l’autre ; des grimaces qui font se tordre de rire les enfants (et les autres)… De son goût pour le spectacle de rue, il a gardé le don de créer une interaction avec le public. Sans même avoir besoin de parler.

Tout ceci ne nous fait pas oublier l’incroyable dextérité avec laquelle il rattrape des objets avec une fourchette fichée dans la bouche, se livre à un numéro de danse sur un fil ou marche avec des bouts d’échelle en lieu et place d’échasses, sans jamais se départir de son air rêveur à la Buster Keaton. Il joue à merveille un personnage décalé, dépassé par des problèmes quotidiens, mais qui arrive à trouver des solutions inattendues.

On ressort de la salle avec des ailes, en ayant l’impression d’avoir retrouvé son âme d’enfant. Un petit miracle ! Courez le voir avant qu’il ne soit trop tard. Et n’oubliez pas d’emmener vos enfants, ils vont adorer Jamie et vous adorer par la même occasion.

Véronique Tran Vinh

 

À partir du 3 juillet
Du mardi au samedi à 19 h
Dimanche à 15 h

Théâtre de l’Atelier
Place Charles-Dullin
75018 Paris
Tél. : 01 46 06 49 24

http://www.theatre-atelier.com/circus-incognitus-lo2774.html

 

 

 

 

“Cinquièmes hurlants”, à La Scala Paris

 

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©Sophian_Ridel

À l’origine de ce spectacle, la rencontre de Raphaëlle Boitel (diplômée de l’école nationale des arts du cirque Fratellini) avec cinq jeunes circassiens talentueux (cerceau, sangles, jonglage, fil de fer et danse). Naît alors chez la jeune femme l’envie d’illustrer la persévérance, vertu suprême dans leur travail au quotidien, mais aussi dans la vie en général. Son titre évoque à la fois, à travers le symbolisme du chiffre 5, la recherche de l’harmonie, de l’équilibre et de la grâce, et les 50es hurlants, zone de l’océan Austral connue pour ses vents violents et sa mer redoutée des marins qui doivent l’affronter.

D’abord braqué sur les spectateurs, un projecteur fait volte-face, laissant apparaître successivement des corps en mouvement dans un beau clair-obscur. Corps tordus, désarticulés, qui dérapent, glissent, tombent et se relèvent sans arrêt. Entre équilibre et déséquilibre. Visages tour à tour gais, tristes. Entre plaisir et souffrance. Comme dans une métaphore de la vie.

Nous invitant dans les coulisses du cirque, Raphaëlle Boitel nous montre le travail acharné qui aboutit à la maîtrise corporelle, comme la première scène où Loïc Leviel fait mine de tomber de son fil ou la performance de Clara Henry qui intime à ses bras, à ses mains, à tous ses membres, de se laisser totalement aller. Et quand elle se transforme en femme araignée flottant littéralement dans l’espace, tractée par ses comparses, on applaudit, au-delà de la performance et de l’esthétique, la belle osmose qui se crée sous nos yeux entre les membres de la troupe. Instants suspendus.

La musique nimbe les mouvements d’une cascade de notes aériennes (Bach), profondes (Verdi) ou énergiques (rock). C’est beau, poétique et envoûtant comme une ode à la vie et à sa fragilité.

Et si, comme dans les arts circassiens, elle n’était qu’une suite d’équilibres et de déséquilibres, que l’on doit s’efforcer de gérer au mieux ?

Véronique Tran Vinh

Conception et mise en scène Raphaëlle Boitel
Collaboration artistique, scénographie, lumière Tristan Baudoin
Avec Tristan Baudoin, Salvo Cappello, Alejandro Escobedo, Clara Henry, Loïc Leviel, Nicolas Lourdelle, Julieta Salz

 

Jusqu’au 20 juillet 2019
La Scala Paris
13, boulevard de Strasbourg
7510 Paris
https://lascala-paris.com/

“Cinquièmes hurlants”, bientôt à la Scala…

Je me réjouis d’aller voir ce spectacle de cirque très prometteur, conçu et mis en scène par Raphaëlle Boitel. Retrouvez ma chronique très prochainement sur DMPVD.

Véronique Tran Vinh

Affiche

La Scala Paris
13, avenue de Strasbourg
75010 Paris
https://lascala-paris.com/programmation/5es-hurlants/

“Macbeth”, à la Grande Écurie de Versailles (Mois Molière)

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Dans la cour de la grande écurie de Versailles, une flamboyante créature vêtue d’un fourreau écarlate surgit sur scène. Elle incarne à la fois « la sorcière », celle qui prédit le funeste destin de Macbeth et la conteuse. Le ton est donné. La pièce oscillera entre un « récit plein de bruit et de fureur » et les traits d’esprit de la narratrice.

Tous les personnages sont vêtus de rouge de la tête aux pieds. Rouge comme la vie, comme la passion qui lie Macbeth à sa femme. Mais aussi rouge comme le symbole de la noblesse, du pouvoir et du despotisme. Rouge comme le sang que va répandre Macbeth pour assouvir son ambition dévorante.

La mise en scène d’Anthony Magnier, pleine de vie et de fougue, est traversée de fulgurances. Ainsi, la scène où Lady Macbeth (excellente Nathalie Lucas), telle une furie, fustige son époux pour sa couardise et l’exhorte à tuer le roi pour prendre sa place. Ou celle où Macbeth (interprété par un William Mesguich inspiré), hanté par le remords, est en proie à des visions hallucinatoires. La composition musicale qui accompagne le spectacle crée une ambiance prenante, qui flirte avec le fantastique.

William Mesguich et Nathalie Lucas forment un couple démoniaque et fascinant, en proie à la violence de ses pulsions. L’interprétation des autres acteurs est très homogène. Sandrine Moaligou est particulièrement pétillante dans le rôle de la sorcière (au nombre de trois dans le texte original). L’idée du metteur en scène d’en avoir fait une créature à la fois sexy et retorse est excellente. Omniprésente, elle apporte une note d’humour bienvenue dans ce drame où l’âme humaine se révèle dans toute sa noirceur.

On souhaite bonne route à ce spectacle flamboyant qui met en lumière la puissance du texte de Shakespeare.

Véronique Tran Vinh

d’après William Shakespeare
Mise en scène d’Anthony Magnier
Compagnie Viva (en résidence à Versailles)
Serge Paumier Production
Avec Axel Hache, Nathalie Lucas, William Mesguich, Sandrine Moaligou, Julien Renon et Victorien Robert

Prochaine représentation (même lieu) :
Jeudi 20 juin à 20 h 30 (entrée gratuite dans la limite des places disponibles)

Le Mois Molière
Un mois de théâtre et de musique partout dans Versailles (spectacles gratuits)
24e édition – Du 1er au 30 juin 2019
à l’initiative François de Mazières, maire de Versailles, fondateur et directeur artistique du Mois Molière
Le programme ici : http://www.moismoliere.com/

 

“Mademoiselle Julie”, au théâtre de l’Atelier

© Franck Beloncle

En cette fin de XIXe siècle, alors que crépitent les feux de la Saint-Jean, c’est un combat sans merci qui oppose Mlle Julie, d’ascendance noble, et Jean, le valet de son père, dans une maison patricienne de la campagne suédoise. Lutte des classes, bien sûr, mais surtout lutte de pouvoir entre une femme et un homme, chacun cherchant à dominer, voire à écraser l’autre.

Avec cette adaptation de la célèbre pièce d’August Strindberg, écrite en 1888 et jouée par les plus grands acteurs, Julie Brochen met l’accent sur la teneur sadomasochiste de la relation entre les deux amants. Supérieure par la naissance et élevée dans la haine des hommes par sa mère, Julie use de toutes les prérogatives liées à sa classe et à son sexe pour séduire Jean. Derrière sa morgue et son excentricité apparentes, se cache aussi le désir de s’émanciper de sa condition féminine.

D’amour ou de plaisir, ici, il n’en est guère question. C’est un jeu de séduction-répulsion que Julie instaure avec son valet-amant, acceptant de subir et d’imposer la dialectique du maître et de l’esclave. Ce jeu lui procure un mélange de jouissance et de douleur qui lui donne l’illusion de vivre intensément. Le mépris en est le pivot : au mépris qu’elle manifeste pour ses serviteurs qu’elle considère comme ses « objets » répond le mépris de ceux-ci pour leur maîtresse, dont le comportement leur paraît indigne de son rang.

Jean lui résiste, faisant preuve d’une force de caractère peu commune. Peu à peu, au cours de ce huis clos étouffant, se dévoilent les faces obscures de chacun. Ainsi, Jean, bien que dévoué à son maître et subjugué depuis son enfance par « la fille du comte », se révèle un homme déterminé à s’élever socialement, plus retors et manipulateur qu’il n’en a l’air. Les interventions de sa fiancée Kristin, domestique comme lui, viennent le rappeler de temps à autre aux conventions de leur classe sociale. À l’inverse, sous le masque de dominatrice de Julie, apparaît peu à peu une petite fille perdue, en proie à des névroses mal guéries.

La scénographie, réduite au cadre dépouillé d’une cuisine d’époque et à de subtils clairs-obscurs, permet au spectateur de se concentrer sur le jeu des acteurs. Seuls s’élèvent parfois quelques rires et chansons pour rappeler  la fête qui se tient à l’extérieur de la maison.

Dans le rôle-titre, Anna Mouglalis impose sa présence singulière et magnétique. Sa voix rauque, son allure féline en font une séductrice animale, qui mène le jeu avec un sadisme non dissimulé, jusqu’à ce qu’elle se retrouve elle-même prise au piège. Face à elle, Xavier Legrand est impressionnant d’aplomb dans le rôle du serviteur qui refuse de se soumettre aux règles du jeu social. La joute des deux protagonistes, tour à tour bourreau et victime, est fascinante et nous tient en haleine jusqu’à ce que le drame atteigne son paroxysme.

Une relecture de la pièce qui évoque The Servant et que n’aurait sans doute pas désavouée le maître des relations équivoques, Joseph Losey.

Véronique Tran Vinh

d’August Strindberg
Traduction de Terje Sinding
Mise en scène Julie Brochen
Avec Anna Mouglalis, Xavier Legrand et Julie Brochen
Lumières Louise Gibaud
Création sonore Fabrice Naud
Scénographie, costumes Lorenzo Albani

Jusqu’au 30 juin 2019
Du mardi au samedi à 19 h
Dimanche à 15 h
Théâtre de l’Atelier
Place Charles-Dullin
75018 Paris
http://www.theatre-atelier.com/mademoiselle-julie-lo2675.html

 

“La Chute”, au théâtre des Mathurins

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©Jean-Philippe Raibaud

Ambiance de polar sur le plateau, grise comme les brumes du Nord où s’est réfugié le narrateur, ancien avocat parisien, devenu, selon ses propres termes, « juge pénitent », à Amsterdam. Non sans une certaine ironie empreinte de cynisme, celui qui se présente à nous sous les traits d’un homme civilisé en costume-cravate va peu à peu laisser tomber ses masques et se mettre à nu.

La chute, c’est celle de la femme qui s’est jetée dans la Seine lors d’une nuit de novembre alors que l’homme rentrait chez lui, en longeant les quais. Mais c’est aussi celle de Clamence qui se débat avec lui-même, face à ses doutes, ses ambivalences et toute sa complexité depuis cette nuit qui a fait basculer sa vie. Cette femme, aurait-il pu, aurait-il dû la sauver ? Et ce rire, qu’il entend parfois résonner derrière lui, ne traduit-il pas l’inanité de sa vie ?

C’est l’occasion surtout pour Albert Camus de scruter le tréfonds de l’âme humaine. À travers cette vraie/fausse confession de son antihéros, il nous interpelle sur la lâcheté, la culpabilité, l’égoïsme, le pouvoir… et bien des choses auxquelles nous sommes tous confrontés. Qu’est-ce que l’homme, sans la morale pour le guider ? semble nous demander l’écrivain.

Il fallait un grand interprète pour faire passer ce texte dont les mots résonnent encore si fort aujourd’hui. Grâce à Yvan Morane, le texte de Camus nous paraît limpide malgré sa complexité. Son jeu, sans effets de manche gratuits, est d’une grande intensité. Également metteur en scène, il réussit à créer une atmosphère prenante à l’aide de la musique et des jeux de lumière, nous transportant dans un thriller métaphysique.

Clamence, c’est lui, c’est nous, face à l’entreprise difficile (absurde ?) qu’est la vie. Courez vite au théâtre redécouvrir ce texte beau et puissant.

Véronique Tran Vinh

De Camus
Mise en scène et avec Yvan Morane
Adaptation de Catherine Camus et François Chaumette
Collaboration artistique : Bénédicte Nécaille
Son : Dominique Bataille

Jusqu’au 29 juin 2019
Du mardi et samedi à 21 h
Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
https://www.theatredesmathurins.com/spectacle/417/la-chute

 

“L’Autre fille”, au studio Hébertot

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© Pierre Pannetier

Comme tous les textes d’Annie Ernaux, celui-ci touche à la fois à l’intime et à l’universel, ce qui le rend bouleversant. Dans cette lettre imaginaire, l’écrivaine s’adresse à la sœur qu’elle n’a pas connue : Ginette, la petite sainte, dont elle se sent le double inversé (aussi turbulente que l’autre était « gentille »). Celle dont ses parents lui ont toujours caché l’existence, qui est morte à 6 ans d’une diphtérie, deux ans avant sa naissance.

« Je n’écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que j’écrive, ça fait une grande différence », lui lance-t-elle. Son récit dévoile des sentiments ambivalents envers celle dont l’absence a hanté toute son existence : jalousie, douleur, culpabilité, mais aussi curiosité, envie de faire la paix avec le passé et avec elle-même.

Nadia Rémita réussit le difficile pari d’adapter au théâtre ce texte au style dénué de fioritures, mais incisif. Loin d’être statique, sa mise en scène joue sur les ruptures, les changements de rythme. Les moments de confidence alternent avec ceux de révolte, où la comédienne s’empare d’un micro, comme pour donner plus de force à ses propos. La musique, parfois mélancolique, parfois plus rythmée, se met au diapason de son jeu.

Il faut dire que Laurence Mongeaud est une magnifique porte-parole de l’auteure et livre une interprétation très juste, sans aucun pathos. Avec quelques livres et quelques photos – qui lui servent à la fois de décor et d’accessoires –, elle parvient à capter notre attention et à nous émouvoir tout au long de son monologue. Sur des panneaux, des lettres forment le mot « gentille » comme pour évoquer l’absente.

Au-delà de ce douloureux secret, le spectacle nous interpelle avec force sur la famille, le deuil et les non-dits dans la construction de l’identité de chacun(e). Percutant.

Véronique Tran Vinh

De Annie Ernaux
Mise en scène de Nadia Rémita
Scénographie de Pierre Pannetier et Nadia Rémita
Lumières de Pierre Pannetier et Audrey Gibert
Avec Laurence Mongeaud

Jusqu’au 19 juin 2019
Mardi et mercredi à 21 h
Studio Hébertot
78 bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
https://www.studiohebertot.com/l-autre-fille