“Mademoiselle Julie”, au théâtre de l’Atelier

© Franck Beloncle

En cette fin de XIXe siècle, alors que crépitent les feux de la Saint-Jean, c’est un combat sans merci qui oppose Mlle Julie, d’ascendance noble, et Jean, le valet de son père, dans une maison patricienne de la campagne suédoise. Lutte des classes, bien sûr, mais surtout lutte de pouvoir entre une femme et un homme, chacun cherchant à dominer, voire à écraser l’autre.

Avec cette adaptation de la célèbre pièce d’August Strindberg, écrite en 1888 et jouée par les plus grands acteurs, Julie Brochen met l’accent sur la teneur sadomasochiste de la relation entre les deux amants. Supérieure par la naissance et élevée dans la haine des hommes par sa mère, Julie use de toutes les prérogatives liées à sa classe et à son sexe pour séduire Jean. Derrière sa morgue et son excentricité apparentes, se cache aussi le désir de s’émanciper de sa condition féminine.

D’amour ou de plaisir, ici, il n’en est guère question. C’est un jeu de séduction-répulsion que Julie instaure avec son valet-amant, acceptant de subir et d’imposer la dialectique du maître et de l’esclave. Ce jeu lui procure un mélange de jouissance et de douleur qui lui donne l’illusion de vivre intensément. Le mépris en est le pivot : au mépris qu’elle manifeste pour ses serviteurs qu’elle considère comme ses « objets » répond le mépris de ceux-ci pour leur maîtresse, dont le comportement leur paraît indigne de son rang.

Jean lui résiste, faisant preuve d’une force de caractère peu commune. Peu à peu, au cours de ce huis clos étouffant, se dévoilent les faces obscures de chacun. Ainsi, Jean, bien que dévoué à son maître et subjugué depuis son enfance par « la fille du comte », se révèle un homme déterminé à s’élever socialement, plus retors et manipulateur qu’il n’en a l’air. Les interventions de sa fiancée Kristin, domestique comme lui, viennent le rappeler de temps à autre aux conventions de leur classe sociale. À l’inverse, sous le masque de dominatrice de Julie, apparaît peu à peu une petite fille perdue, en proie à des névroses mal guéries.

La scénographie, réduite au cadre dépouillé d’une cuisine d’époque et à de subtils clairs-obscurs, permet au spectateur de se concentrer sur le jeu des acteurs. Seuls s’élèvent parfois quelques rires et chansons pour rappeler  la fête qui se tient à l’extérieur de la maison.

Dans le rôle-titre, Anna Mouglalis impose sa présence singulière et magnétique. Sa voix rauque, son allure féline en font une séductrice animale, qui mène le jeu avec un sadisme non dissimulé, jusqu’à ce qu’elle se retrouve elle-même prise au piège. Face à elle, Xavier Legrand est impressionnant d’aplomb dans le rôle du serviteur qui refuse de se soumettre aux règles du jeu social. La joute des deux protagonistes, tour à tour bourreau et victime, est fascinante et nous tient en haleine jusqu’à ce que le drame atteigne son paroxysme.

Une relecture de la pièce qui évoque The Servant et que n’aurait sans doute pas désavouée le maître des relations équivoques, Joseph Losey.

Véronique Tran Vinh

d’August Strindberg
Traduction de Terje Sinding
Mise en scène Julie Brochen
Avec Anna Mouglalis, Xavier Legrand et Julie Brochen
Lumières Louise Gibaud
Création sonore Fabrice Naud
Scénographie, costumes Lorenzo Albani

Jusqu’au 30 juin 2019
Du mardi au samedi à 19 h
Dimanche à 15 h
Théâtre de l’Atelier
Place Charles-Dullin
75018 Paris
http://www.theatre-atelier.com/mademoiselle-julie-lo2675.html

 

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