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Au milieu de tables et de chaises, dans ce qui pourrait être une salle de classe, des jeunes filles nous regardent intensément, et telle la Sphynge, nous posent des questions absurdes… ou pertinentes… « Qui a éteint la lumière ? »
De quoi parlent-elles ? Évoquent-elles le drame d’Œdipe, le parricide, qui s’est crevé les yeux pour avoir couché avec sa mère ? Ou l’aveuglement des humains courant à leur perte ?
Martin Crimp suit à la lettre la trame des Phéniciennes écrite par Euripide, racontant la lutte fratricide des deux fils d’Œdipe pour gouverner la cité de Thèbes. Mais il oppose à la tragédie antique ce chœur insolent de filles d’aujourd’hui : elles témoignent et commentent avec ironie et provocation la guerre sans fin à laquelle se livrent les hommes et, ce faisant, l’absurdité de notre monde contemporain.
Poussant plus loin la mise en abîme, Daniel Jeanneteau a choisi de jeunes Gennevillaises pour incarner cette parole sans fard : elles ont la force et la maturité précoce d’une génération affranchie de l’autorité. Leur présence impressionne autant que leur maîtrise théâtrale, à l’égal des comédiens professionnels qui les entourent, tous extraordinaires -– notamment Dominique Reymond, Jocaste sensible et impressionnante –, fruit d’un travail rigoureux et investi. Elles sont le chœur antique, mais aussi les filles de la cité toute proche, qui interrogent sans ménagement les figures mythiques.
Elles convoquent les protagonistes – Jocaste, la mère, Etéocle et Polynice, les frères ennemis, Antigone, la sœur et Créon, leur oncle – … et n’ont de cesse (Freud est passé par là !), de vouloir entendre les mots tus, la colère rentrée, la haine dévastatrice, les accoucher de leur vérité, exorciser la malédiction originelle.
Maîtres du jeu au début de la représentation, elles s’effacent peu à peu tandis que se rejoue la tragédie. Le spectacle est d’un bout à l’autre tendu à l’extrême, et même si on en connaît la fin, le public est suspendu au récit haletant de l’affrontement des deux frères, aux tentatives désespérées de Jocaste et Antigone pour les réconcilier, à la douleur de Créon qui ne veut pas entendre l’oracle qui condamne son fils…
En contrepoint du récit « off », comme dans un film de série Z, les corps sanguinolents du Messager, tel un écorché vif, de Créon, recouvert du sang de Ménécée, et des cadavres des frères, imposent une vision trash au réalisme saisissant, éloignée du tableau héroïque de l’Antiquité dans les manuels scolaires, reflet d’autres guerres autrement plus cruelles…
La réapparition d’Œdipe, surgissant hagard de l’Algeco où on le confinait, juste avant que Créon, nouveau maître de Thèbes, ne le bannisse hors du royaume, achève de le rendre insignifiant : inconscient des malheurs qui n’ont eu de cesse de le frapper, lui et les siens, il consent à partir, humble et résigné, comme un simple mortel abandonné des dieux.
Comme si le mythe s’était dissous de lui-même.
Florence Violet
Du 9 janvier au 1er février 2020
T2G –Théâtre de Gennevilliers
https://www.theatre2gennevilliers.com/
Centre dramatique national – 41, avenue des Grésillons, 92230 Gennevilliers
Texte Martin Crimp d’après Les Phéniciennes d’Euripide
traduit de l’anglais par Philippe Djian, L’Arche Éditeur © 2015
Mise en scène et scénographie Daniel Jeanneteau
Assistanat et dramaturgie Hugo Soubise
Collaboration artistique / chœur Elsa Guedj
Conseil dramaturgique Claire Nancy
Assistanat scénographie Louise Digard
Lumières Anne Vaglio
Musique Olivier Pasquet
Ingénierie sonore et informatique musicale IRCAM – Sylvain Cadars
Costumes Olga Karpinsky
Décors ateliers du TNS – Théâtre National de Strasbourg
avec Solène Arbel, Stéphanie Béghain, Axel Bogousslavsky, Yann Boudaud, Quentin Bouissou, Jonathan Genet, Elsa Guedj, Dominique Reymond, Philippe Smith et en alternance Clément Decout, Victor Katzarov
et le Choeur Delphine Antenor, Marie-Fleur Behlow, Diane Boucaï, Juliette Carnat, Imane El Herdmi, Chaïma El Mounadi, Clothilde Laporte, Zohra Omri