“Café polisson”, au théâtre de l’Épée de bois

© Sophie Boeglin

À qui veut casquer, pour un prix modique,
Je promets de faire, et sans nul chiqué
Un travail soigné, tiré du classique
Pour un prix modique, à qui veut casquer….
La pierreuse consciencieuse (chanson populaire)

D’emblée, le décor chamarré nous transporte dans l’ambiance des théâtres et des cafés-concerts de la Belle Époque. Le quotidien des chanteuses de beuglant prend forme sous nos yeux avec sa truculence, son sens de la fête et de la sensualité, sans occulter son lot de misère, de maladie et d’exploitation. Dans ce tourbillon de musique et de chansons, se côtoyaient demi-mondaines et artistes, souvent obligées de vendre leurs charmes pour survivre. À l’énoncé de la liste des plaisirs proposés, on oscille entre rire et consternation : du désir le plus plus simple au plus incongru, tout est prévu et… tarifé, avec une précision digne d’un fonctionnaire des finances.

Dans sa robe de velours pourpre et ses dessous froufroutants, Nathalie Joly incarne à merveille l’une de ces « diseuses » du Second Empire, qui ravissaient le public avec leurs allusions à peine voilées à la sexualité. Une joueuse de bandonéon, une danseuse troublante d’ambiguïté et un pianiste sont ses complices talentueux. Avec beaucoup d’esprit et de gouaille, la jeune femme nous fait (re)découvrir un répertoire populaire et grivois, parfois triste, parfois léger, souvent d’un humour mordant, signé Aristide Bruant, Gustave Nadaud, Yvette Guilbert…

Elle vient au milieu du public pour faire L’Éloge des vieux, nous émeut avec La Buveuse d’absinthe, nous fait rire avec la Partie carrée des familles Boudin et Bouton. D’autres chansons – dont certaines plus récentes – décrivent sans fard la condition des femmes de la rue comme de celles qui se prostituaient pour accéder à un statut social meilleur.

La mise en scène ingénieuse de Jacques Verzier nous fait découvrir un pan de la vie culturelle de cette époque. Ainsi, les voiles que porte la danseuse deviennent un écran sur lequel sont projetés des extraits du film d’Alice Guy (qui a inventé le film de fiction), montrant l’engouement pour la danse.

Une soirée à la fois drôle et émouvante où l’on touche du doigt le destin de ces femmes courageuses, qui affirmaient en chansons leur soif de liberté. Plus que quelques dates pour assister au spectacle, dépêchez-vous de réserver !

Véronique Tran Vinh

Conception et texte Nathalie Joly
Mise en scène Jacques Verzier
Scénographie Jean-Jacques Gernolle
Costumes Claire Risterucci
Avec Nathalie Joly (chant), Jean-Pierre Gesbert (piano et trompette), Bénédicte Charpiat (danse), Carméla Delgado ou Marion Chiron (bandonéon), Jacques Verzier ou Gilles Vajou (chant)

Spectacle créé en 2015 au musée d’Orsay pour l’exposition « Splendeurs et misères, images de la prostitution 1850-1910 ».

Jusqu’au 3 avril à 20 H 30 (lundi, mardi et mercredi)
Théâtre de l’Épée de bois
Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
https://www.epeedebois.com/un-spectacle/cafe-polisson/

 

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