“Sous la glace”, au théâtre de l’Opprimé

@ Arcade

D’entrée de jeu, le ton est donné. Une lumière bleutée, froide comme la glace. Une scène au décor dépouillé à l’exception d’un ourson géant qui se dresse, tel un totem (évoquant l’enfance ?).

Déjà petit, Jean Personne était un garçon que ses parents ignoraient, qui se sentait comme « transparent ». Aujourd’hui, c’est un cadre d’entreprise (et un homme, accessoirement) que l’on ne remarque que lorsqu’il est absent. Il aime entendre son nom résonner dans les aéroports au moment de l’embarquement, il a enfin l’impression d’exister. Mais comment exister « réellement » dans ce monde de l’entreprise qui ne parle que de course à la performance, de recherche de compétitivité, de rentabilité ? Plus, toujours plus… Un monde où l’on évalue les hommes, impitoyable pour ceux qui ne sont pas conformes, pas dans le moule, pas « économiquement corrects »… et qui finissent broyés.

Jean Personne va tout faire pour exister, quitte à se débarrasser de ceux qui sont en travers de son chemin. Pas de place pour « les vieux », « les inadaptés », « les improductifs », comme on les nomme dans le jargon méprisant (et combien brutal !) de l’entreprise. Jusqu’à ce que lui-même soit éjecté à son tour de ce système dans lequel il a désespérément essayé de se fondre.

Course sans fin
Lui et ses deux acolytes en costume gris (des « consultants » eux aussi) sont obsédés à l’idée d’être mis sur la touche. Injonctions martelées comme des mantras, corps survoltés, musique au rythme effréné : tout dans la mise en scène concourt à souligner cette inhumaine course à la performance, alimentée à grands coups de chiffres, de courbes de vente et d’adrénaline. Non sans humour par ailleurs, comme quand deux des consultants organisent avec cynisme une grand-messe afin de stimuler le personnel de l’entreprise au moyen d’allégories animales.

Jean Personne, c’est moi, c’est nous, ce sont tous ceux qui ont besoin de la reconnaissance et du regard des autres – notamment dans le travail – pour exister. L’auteur a choisi l’angle économique pour illustrer l’absurdité de la vie de l’homme dans la société contemporaine. La mise en scène est percutante, les trois acteurs sont excellents dans le rôle de ces professionnels du conseil et de la vente qui ont fini par s’identifier totalement à leur rôle. Pas de temps mort, le spectateur est comme pris dans un étau, un univers oppressant de paroles, de musiques, auquel il est difficile d’échapper.

Jusqu’à la conclusion (forcément) glaçante, en forme de cri d’alarme : et si, à force de renoncer à leur humanité, les hommes finissaient pas être annihilés par le monde qu’ils ont créé ? Et si cette course sans fin n’avait aucun sens ?

Véronique Tran Vinh

De Falk Richter
Traduction Anne Monfort
Mise en scène Vincent Dussart
Scénographie Frédéric Cheli
Lumières Frédéric Cheli et Jérôme Bertin
Création sonore et musique live Patrice Gallet
Costumes Mathilde Buisson
Avec Xavier Czapla, Patrice Gallet, Stéphane Szestak
Administration Caroline Gauthier

Jusqu’au 22 décembre 2017
Du mardi au samedi à 20 h 30
Dimanche à 17 h
Théâtre de l’Opprimé
78, rue des Charolais
75012 Paris
http://www.theatredelopprime.com/evenement/sous-la-glace/

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