“La Lettre à Helga”, au Théâtre de l’Épée de bois

© B. Jacquard

Le roman éponyme de Bergsveinn Birgisson, publié en 2013 aux éditions Zulma, possède une grande force d’évocation. L’adaptation théâtrale qu’en fait Claude Bonin est un écrin à la hauteur de ce texte puissamment poétique et sensuel. 

Des planches de bois au mur et au sol (la bergerie), un pneu de tracteur et des sacs de laine de mouton. Nous voici projetés au fin fond de la campagne islandaise, dans la maison natale de Bjarni. En arrière-plan, un écran où apparaissent des visuels évoquant tour à tour la lande, les falaises ou les lumières de la capitale, Reyljavik. Ajoutons à cela la musique, composée de sons telluriques, et nous sommes immergés dans une ambiance envoûtante, en osmose avec l’histoire qui nous est contée.

Dans une lettre en réponse à celle qui fut le grand amour de sa vie – désormais disparue –, le vieux Bjarni Gislason, éleveur de moutons et contrôleur du fourrage, évoque ses souvenirs qui entremêlent son attachement viscéral à sa terre et sa passion très charnelle pour Helga, mariée tout comme lui. La belle éleveuse qu’il a rencontrée au cours d’une palpation des brebis, effectuée pour savoir si elles passeraient l’hiver.

Ce ne sont pas « les yeux d’Elsa » que ce poète venu du froid célèbre, mais « les seins d’Helga », indissociables de cette nature qu’il aime tant. Et avec quel sens du verbe ! « Ces éminences, sur le versant sud de la butte de Gongukleif, sont comme le moulage terrestre de tes seins. » À travers ses mots se lit l’âpreté de son existence, en étroit contact avec la nature et les animaux, mais aussi la communion de tout son être avec eux.

La terre comme repère
Les planches du décor qui tombent les unes après les autres avec fracas évoquent la violence des éléments naturels : le vent, le froid, la neige, qui façonnent le paysage… Le plus grand regret de Bjarni ? Avoir renoncé à cette femme, qui portait son enfant, pour demeurer sur la terre de ses ancêtres. Pourtant, à l’heure du bilan, il s’incline devant l’évidence : « Mon issue de secours à moi, c’est la vieille porte de la bergerie de feu mon père. Celle que le soleil traverse entre les planches disjointes. Si la vie est quelque part, ce doit être entre les fentes. »

L’interprétation prenante de Roland Depauw nous transporte au cœur de l’existence rude et dépouillée de ce vieillard, hanté par un amour impossible. Parfois tendres, parfois crus, mais toujours poétiques, ses mots sont un hymne à la vie autant qu’à l’amour.

Souhaitons à ce spectacle pétri d’humanité de rencontrer le succès qu’il mérite auprès des amoureux de l’Islande et de donner envie aux autres de découvrir cette terre fascinante.

Véronique Tran Vinh

Texte de Bergsveinn Birgisson
Traduction de Catherine Eyjólfssonéditions Zulma
Mise en scène : Claude Bonin
Avec Roland Depauw
Assistanat : Bénédicte Jacquard
Création sonore Live : Nicolas Perrin
Création vidéo : Valéry Faidherbe
Scénographie : Cynthia Lhopitallier

Théâtre de l’Épée de bois
Cartoucherie, Paris 12e
Jusqu’au 22 décembre 2018
Du lundi au vendredi à 20 h 30, samedi 16 h et 20 h 30
Durée 1 h 20
https://www.epeedebois.com/un-spectacle/la-lettre-a-helga/

 

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